Dans les forêts de Sibérie, Sylvain Tesson

Sylvain Tesson est malade. Il est addict aux aphorismes, formules, obsédé par le mot juste à la juste place. Et je dois dire que c’est assez impressionnant, surtout quand il met cette manie au service d’une expérience incroyable : 6 mois dans une cabane en bois sur les rives du Lac Baïkal.

Je l’avoue, jusque-là je n’avais jamais rien lu du sieur Tesson, l’apercevant ci ou là, au détour d’un plateau télé. J’ai toujours trouvé qu’il était sacrément intéressant : aventurier, explorateur, écrivain etc. etc.

« On dispose de tout ce qu'il faut lorsque l'on organise sa vie autour de l'idée de ne rien posséder. »

Le récit qui nous est présenté, c’est le carnet de voyage de Sylvain, qu’il écrit au jour le jour et dans lequel il relate les événements autant que les pensées et autres réflexions sur la vie, l’homme et la nature. Je me demandais, étant plutôt lecteur de roman, je ne m’ennuierai pas à la lecture de cet essai/récit. Pas le moins du monde !

« Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l'inspiration sortir. »

En étant un peu et volontairement provoc’, je pourrais dire que Dans les forêts de Sibérie ne raconte absolument rien. Et c’est vrai, tout aussi qu’il raconte tout. Sylvain Tesson a voulu vivre cette expérience en forme de retour à l’essentiel c’est-à-dire à des besoins et désirs plus modestes, au silence, à la solitude, à la nature. Cette dernière est d’ailleurs le personnage principal du récit : souvent hostile, dangereuse autant que magnifique, c’est la nature qui rythme la vie sur les rives du Lac Baïkal.

Pêcher, explorer, couper du bois, voilà les activités principales de Sylvain Tesson. Vous y ajoutez quelques visites de ses voisins (à un ou deux jours de trajets) et gens de passages, vous obtenez le quotidien de ces 6 mois de retraite. Seule compagnie : deux chiots donnés par des amis russes.

« La pluie a été inventée pour que l'homme se sente heureux sous un toit. »

La solitude est donc, si j’ose dire, omniprésente. C’est dans ces longues plages de temps, où dans l’impossibilité de mettre un pied dehors à cause du froid et des tempêtes de neiges, Sylvain Tesson assis devant sa fenêtre médite et écrit sur la vie. Et j’en reviens à mon début de chronique (oui, c’était prévu !), l’art de Sylvain Tesson de créer des formules, adages, aphorisme est impressionnant. Pour chaque événement, chaque enseignement sa maxime. Ces pensées amènent beaucoup de poésie dans son récit et le plaisir du lecteur en est renforcé, la profondeur de l’expérience décuplée.

« Et si la liberté consistait à posséder le temps? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures? Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu »

J’ai beaucoup apprécié la lecture de ce livre, j’y suis rentré plein de curiosité, attiré par le personnage public de Sylvain Tesson et j’ai découvert un homme intelligent et émouvant. J’ai vécu avec lui cette retraite de 6 mois qui encourage tout un chacun à resserrer sa vie vers l’essentiel la simplicité, la lenteur, trop rare lenteur.

Merci Monsieur Tesson ! 


Publié par Lux

Le Monde de Sophie, Jostein Gaarder

Le Monde de Sophie a été écrit par Jostein Gaarder, écrivain et philosophe norvégien. Publié en 1991 en Norvège et quatre ans plus tard en France, Le monde de Sophie a été écrit par Jostein Gaarder, écrivain et philosophe norvégien. Publié en 1991 en Norvège et quatre ans plus tard en France, il a été traduit en 54 langues et connu un grand succès.

Le monde de Sophie est décrit comme un roman initiatique qui met en scène une jeune Sophie, 14 ans, qui découvre au fil des pages l’histoire de la philosophie. Pour ma part, cette description n’est pas conforme, j’ai trouvé qu’il y avait une fracture entre l’intrigue narrative et l’exposition des thèses philosophiques là où un roman initiatique s’inspire et fait éclore un message de la narration. J’ai eu l’impression d’avoir affaire à deux livres à la fois.

Dans un premier temps je vais vous parler du côté « roman ». C’est l’histoire de Sophie Amundsen, elle est à l’aube de fêter ses quinze ans et reçoit des lettres d’un mystérieux expéditeur. Le premier courrier est intrigant, il y est inscrit une seule phrase « Qui es-tu ? ». Les suivants auront la même vocation, celle d’amener Sophie à se questionner sur elle, sa vie et le monde. Nous suivons au fil des pages son avancée jusqu’à la découverte de qui écrit ces lettres et pourquoi.

J’ai trouvé ce récit ennuyeux, long et inutile. L’intrigue est tirée par les cheveux et ne met pas en exergue les propos philosophiques. L’idée est super de découvrir la philosophie par le prisme d’une petite fille, elle incarne l’innocence et l’émerveillement. J’aurai préféré que le récit soit plus simple, moins tortueux cela m’aurait permis d’avoir une lecture plus fluide et plus agréable.

Dans un second temps, Le monde de Sophie  nous raconte l’histoire de la philosophie, de sa naissance aux auteurs contemporains. J’ai trouvé cette « partie » réussie dans le sens où les propos sont très clairs et donc les courants philosophiques facilement compréhensibles. Il y a un enchainement logique dans l’histoire de la pensée et les différentes thèses et différents points abordés en philosophie sont tous liés entre eux et découlent les uns des autres. J’ai aimé retrouver cette continuité, qu’il me semble est trop souvent oubliée dans les cours de philosophie.

Je recommande ce livre aux gens qui notamment veulent avoir une vue d’ensemble de la philosophie et comprendre les rouages de la pensée. Je pense qu’il peut être utile aux personnes qui passent les concours de l’enseignement et enfin je vous suggère de le lire jeune pour ne pas être freiné par la partie narrative.


 Publié par Coraline

Un regard sur le roman policier et son histoire

Ce terme « roman policier » est utilisé, fréquemment, pour désigner, de manière restrictive, une  littérature d’abord facile, proche du « roman de gare », si pratique pour éponger les heures de train fastidieuses par une lecture sans effort à qui l’on ne demande guère d’enrichir l’esprit. Aujourd’hui, on utilise le terme « polar » qui désigne, à la fois, le roman policier et les films que l’on peut en tirer. Il est intéressant de noter que le mot « polar » a pris sa place dans notre vocabulaire en s’implantant dans nos dictionnaires. Le Petit Larousse, que je fréquente sans retenue, n’a pas trouvé, ou n’a pas voulu s’interroger sur l’étymologie du mot. Cette recherche fut pourtant tentée par Audrey Bonnemaison et Daniel Fondanèche dans leur essai, Le Polar, Idées reçues. Aux yeux de ces deux chercheurs le mot « polar » viendrait du grec polis qui « désigne à la fois la cité, les institutions et la ville ». Cela ne permet pas, pour autant, de définir ce qu’est exactement le roman policier, ou polar. On s’aperçoit, en effet, que ses terrains d’actions sont des plus divers. Il peut proposer une ou des énigmes à la déduction ou, encore, vous soumettre une étude sociale ou psychologique ; il peut être suspense ou thriller, étude de mœurs, roman noir, récit d’aventures, chronique sociale ou politique-fiction. Chacune des ces propositions demanderait une étude particulière. En fait, aux yeux des spécialistes, le roman policier ou polar n’a pratiquement plus de frontières, il s’attaque à tout ce qui, dans notre société, peut provoquer l’angoisse, la peur et déclencher en chacun d’entre nous le doute, les obsessions, la crainte de l’autre. Et nous savons que l’impensable peut arriver et être vécu.

J’ai été surpris de découvrir que certain voit naître le roman policier dans l’Œdipe roi de Sophocle alors que, plus couramment, on désigne comme point de départ le Zadig de Voltaire, en 1748, une base de qualité.[1] De même dans les tous premiers ouvrages que l’on puisse classer « roman noir » le Frankenstein de Mary Shelley (1818). Une autre contestation verrait en précurseur du genre l’écrivain britannique Thomas de Quincey qui, à partir de 1827, présenta une œuvre, en quatre parties, s’intitulant de l’assassinat considéré comme un des beaux-arts. Le point final de cette série était déposé en 1854.

Mais, en avril 1841, était apparu l’homme qui allait mettre en place l’assise du genre. L’Américain Edgar Poe publiait alors Double assassinat dans la rue Morgue que devait traduire, pour la France, Charles Baudelaire. En fait, le roman policier semble naître avec la Révolution industrielle et l’extension de la pauvreté urbaine. La bourgeoisie avait peur de cette « classe laborieuse » qui lui apparaissait comme « classe dangereuse ». Cette peur vous pouvez la retrouver à la lecture des Mystères de Paris d’Eugène Sue. C’est aussi la période des Mémoires de Vidocq (1848), l’ancien forçat devenu chef de la police qui inspirera le Corentin d’Honoré de Balzac, le Javert de Victor Hugo et le Salvador de Dumas. Nous avions là les remparts de la propriété, des policiers qui utilisaient déjà l’intelligence avant la force. Et puis, le développement de la presse provoquait l’apparition des romans feuilletons friands de faits divers et obtenant un franc succès auprès des lecteurs. Cela s’opérait d’abord par les journaux qui assuraient, en permanence, la « suite au prochain numéro ». Il était, en effet, plus facile, et moins onéreux, d’accéder de cette manière à ce privilège que tous ne pouvait pas connaître : la lecture. Le succès de cette diffusion est évident. Les journaux les plus lus sous la « monarchie de juillet » comptent entre 20.000 et 30.000 abonnés. Ils passeront à plus de quatre millions d’exemplaires en 1914.

Pour Jean Tulard[2], ces romans populaires écrits par de petits ou moyens bourgeois sont lus par le public ouvrier mais aussi, évidemment en cachette, par le monde bourgeois qui affiche pourtant un évident dédain pour une telle littérature. Celle-ci se veut très diverse allant du roman historique, le plus souvent de cape et d’épée, en passant par le roman d’aventure, le roman policier, le roman d’espionnage, d’anticipation ou de science-fiction.

Aujourd’hui, les distractions proposées se sont multipliées. Les journaux illustrés de ma jeunesse ont explosé ; la bande dessinée permet maintenant de s’attaquer à tous les sujets : Histoire, Philosophie, Vulgarisation. Elle force toutes les portes et fait sa place jusque dans le monde de l’éducation. De plus, la numérisation des livres et l’emploi simplifié de la liseuse vous permet de posséder, pour ceux qui le désire, une bibliothèque ventripotente d’un tel embonpoint qu’un lecteur normalement affamé n’aura pu en venir à bout au terme de son existence.

Revenons en arrière, à l’aube de mes dix ans ; la Seconde Guerre mondiale se déclarait. Je suis né dans une famille des plus modestes qui, en 1940, devait posséder, en tout et pour tout, deux bouquins, l’un, dont je ne puis me souvenir du titre, l’autre, une enquête sociale sur l’affaire Saco et Vanzetti, qui se déroula dans les années vingt. Autre outil, présent et beaucoup plus usité : le dictionnaire Larousse en deux volumes. Combien de fois, partant à la recherche d’un mot mal connu, me suis-je perdu, parfois pour des heures, dans ces pages qui semaient et sèment encore la culture à tous les vents. J’ai toujours aimé lire. Mes parents répétaient alors que je lisais n’importe quoi, les publicités, pourtant rares à l’époque, mais aussi les fascicules que ma grand-mère achetait, de façon hebdomadaire, nous livrant, entre autres, les Misérables à la petite semaine. La littérature populaire, j’en ai eu ma dose. En ce temps-là, le lycée ne nous semblait pas approprié, et le bac, tout auréolé de sa valeur, non encore soupçonnée, apparaissait hors de notre portée. Nous restions au niveau brevetable à l’aune du Cours Complémentaire. Là, nous tâtions de la dissertation sans notion de philosophie et la rédaction nous était le plus souvent demandée. L’étude de texte se resserrait automatiquement sur François Villon, Corneille, Racine, La Bruyère, Molière, Lamartine, Chateaubriand, Victor Hugo… Cela, toutefois, ne nous permettait pas de nous prendre pour des littéraires.

Un temps d’occupation, une période de disette… Le papier, rationné au niveau de l’édition courante, était fébrilement et secrètement recherché par la Résistance pour ses opérations d’information et de désintoxication. Je me souviens des petits fascicules bon marché des éditions Tallandier. Ce furent là mes lectures. Actuellement, chaque entrée littéraire déverse sur les libraires un important flot de bouquins de valeurs inégales. Nous n’avions pas cette chance.

Rappelons-nous, même si cela n’a pas un rapport direct avec la lecture, que, en cette période des années 40, la vie, pour la plupart d’entre nous, restait encore d’un niveau primaire. Alors, ma famille, comme bien d’autres, vivait sans salle d’eau, ni douche, sans water à l’intérieur du logement ce qui entrainait, le plus souvent, l‘emploi de seaux qui n’avaient d’hygiéniques que le nom. La lecture, dans ce milieu inconfortable, se révélait comme un refuge.

Ce ne fut qu’à la Libération du territoire qu’une ouverture put se faire. Une amélioration se ressentait dans les milieux sociaux et familiaux. A cette époque, les auteurs les plus faciles d’approche étaient : Victor Hugo, Alexandre Dumas, Émile Gaboriau, Conan Doyle, Maurice Leblanc, Agatha Christie, Simenon, Peter Cheney, Valentin Williams, et puis, aussi Maxence Van Der Meersch ainsi que Hervé Bazin, Franck Slaughter ou A.J. Cronin. La collection « Le masque » voyait le jour. J’avoue que je n’ai pas lu Proust, ni Albert Camus, ni Freud, ni Karl Marx.

Le retour à la vie normale faisait apparaître les évolutions que cinq ans de guerre avaient mis en attente : évolutions sociales, économiques mais aussi dans l’édition. C’était, en particulier, la création de la « Série Noire » qui, délaissant quelque peu le problème policier, s’ouvrait au climat social, à sa rigueur, sa cruauté. La littérature américaine nous parvenait avec bien du retard. D’après mes souvenirs, je peux avancer que l’accueil fut assez réservé. A noter, toutefois, pour détendre l’atmosphère les pastiches d’un certain Marcel Grancher, écrivain lyonnais et précurseur de San Antonio, qui s’inspirait du roman Pas d’orchidée pour Miss Blandish, de James Hadley Chase, pour proposer Pas de bégonia pour Madame Dugommier mais aussi, Douze souris et un Auvergnat face à Douze chinetoques et une souris, du même auteur, ou, encore, Ce mec est contagieux, pastiche de Cet homme est dangereux de Peter Cheney. Dès cette époque, je commençais à m’intéresser à l’Histoire qui allait occuper pas mal de mon temps dans l’avenir.

Aujourd’hui, le « Noir » se porte bien. Fini le corsetage du roman policier dans les règles de Van Dine. On retrouve la vie de tous les jours à notre portée avec le « fric » qui file entre les doigts, quand il n’est pas corrupteur et qui, bien souvent, partage l’actualité avec le sexe ; il y a quelques temps encore certains sujets apparaissaient encore comme tabou. Il en était ainsi pour le viol, la pédophilie, l’inceste, tous ces ingrédients du sexe pratiqués dans le secret à pleine bouche mais du bout des lèvres. Le polar actuel rejoint la réalité quotidienne et ne s’embarrasse plus des préjugés dépassés. Peut être, peut-on regretter que, parfois, il aille trop loin dans la brutalité, voire la bestialité. De plus, il nous parvient des quatre coins du monde. Les US sont aujourd’hui débordés par les pays nordiques. Le roman policier ne se contente plus d’être la simple énigme à déchiffrer, sous la forme de polar il devient le reflet d’une société que nous redoutons, celle des hommes qui entendent la soumettre à l’argent et au sexe, inséparables même dans la démesure.

Mais peut-on accrocher lectrices et lecteurs par l’honnête transparence d’une utopique société honnête et pure.

D’ailleurs qui, à part moi, peut se targuer de ne point posséder un quelconque secret ?





  Publié par Jacques




[1] Article de Paul Mesplède, Encyclopædia Universalis, Policier (Roman), 2016
[2] Encyclopédie Universalis, Roman Populaire, 2016