La Religion, Tim Willocks

J’adore le son saturé de la guitare électrique.

Mais ce que je préfère encore, c’est les nuances, les silences, les montées en puissance. Quel est le rapport avec le bouquin de Tim Willocks ?

Tout ! Absolument tout.

Tim Willocks est anglais, né en 1957, médecin, chirurgien, psychiatre, spécialiste des drogues, ceinture noire de karaté, fan de poker, oui, tout ça. Tout semble démesuré avec Tim Willocks et La Religion ne fait pas exception. Mais de quoi parle ce gros (énorme) roman ?

« Et Tannhauser sut, à cet instant (...), que c'était le hurlement primal du plus profond de son cœur. Le hurlement qui faisait écho aux millénaires. C'était la voix d'un dieu dont le pouvoir avait été ancien quand toutes les autres déités n'étaient pas encore nées, dont la domination subsumait toutes les fois et les croyances plus faibles, et dont le règne verrait toutes les autres idoles se changer en poussière. C'était l'ordre de s'agenouiller devant l'autel de la guerre. Une invitation à soulager cette soif qui affligerait toujours les hommes, et qui ne serait jamais complètement étanchée. »

1522. Mattias Tannhauser est mercenaire, trafiquant d’armes et d’opium, ancien janissaire et chevalier de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem autrement appelé La Religion. Il gère tranquillement ses affaires mais l’invasion turque est imminente. Envoyée s’emparer de Malte par Soliman le Magnifique, commandée par le pacha Mustapha et l’amiral Piyale, l’armée ottomanes arrive.

En tant qu’ancien janissaire et fin connaisseur de l’art militaire turc, Tannhauser est demandé par le Grand Maître de l’Ordre des Hospitaliers, Jean Parisot de La Valette. Retraité de guerre, Mattias est contraint de réendosser son armure. D’autant qu’il est parallèlement mandaté par Carla La Penautier, duchesse d’Aquitaine, pour retrouver son fils sur Malte, raison supplémentaire de rester et combattre. Enfin, l’Inquisition est également de la partie avec le terrible Ludovico qui souhaite démanteler La Religion et la plier aux volontés papales. Intrigues et manipulation au programme.

Voilà comment Tim Willocks va nous faire vivre le Grand Siège de Malte, 600 chevaliers chrétiens, 1200 mercenaires italiens et espagnols, 4000 hommes de la milice maltaise retranchés dans les forts Saint-Elme et Saint-Ange pour faire face à 45000 turcs pendant 5 mois. E-P-I-Q-U-E.

« En abandonnant les rangs des janissaires, tant d'années auparavant, il avait abandonné une partie de son âme ; mais s'il ne l'avait pas fait, il aurait perdu l'intégralité de son âme, car tel aurait été le prix des sombres exploits qu'on exigeait de lui. Même si leurs fifres et leurs tambours lui remuaient encore le sang et le cœur, il faisait maintenant face à ses anciens frères sur le champ de bataille. La poitrine et la gorge serrées, il attendait un son qu'il n'avait jamais entendu mais avait seulement proféré. Les terribles Lions de l'islam allaient rugir. »

Et alors ? C’est bien La Religion ?

C’est un bon roman, je ne lis pas 900 pages d’un bouquin sans intérêt. Mais j’en sors déçu. D’une part parce que le buzz qui l’avait précédé m’a sans doute faussé la donne. D’autre part, le gros défaut selon moi du roman, et j’en reviens à mes guitares électriques, c’est l’excès de tout. Je m’explique.

« Elle avait découvert la paix qui vient avec l'immersion dans la souffrance. C'était une paix étrange, une paix horrible, une paix que l'on n'aurait souhaitée à personne, car les victimes de la guerre en payaient le prix. Vulnérables et sans recours, ils étaient absous de toute méchanceté - de tout sauf du courage et de la foi les plus primitifs - et ils reconquéraient l'innocence de l'enfant. Etre blessé révélait quelque chose de l'âme d'une personne, d'une manière interdite à toute autre, et ce que cela révélait était quelque chose de merveilleux, quelque chose de noble, quelque chose qui, malgré l'agonie, la saleté et l'humiliation, contenait plus de véritable dignité que tout ce qu'elle avait pu voir de sa vie. »

Tim Willocks a un style riche, dès les premières pages j’ai été saisi par cette impression d’opéré, de baroque, d’épique. Le prologue commence très très fort. Sauf que la tension et l’intensité voire la densité ne redescendent jamais ! Tous les curseurs sont poussés à l’extrême, c’est beau, démesuré, violent, gore avec du bruit, du sang, du sperme. Et tout le temps. J’ai manqué de nuances, de fluctuations, de montées en puissances, le volume est à fond pendant 900 pages, ce qui a fini par me lasser et me rendre indifférent au sort des personnages dont la plupart sont très « bigger than life », Mattias en tête. Il a tout fait, tout vu, il est beau, fort, intelligent, violent, amoureux…

C’est vraiment dommage ! Comme je l’ai dit plus haut, c’est un bon roman mais qui aurait dû être bien meilleur et marquer par son côté mythique et épique. La Religion aurait pu être une épopée extraordinaire et j’ai l’impression d’avoir écouté un concert assourdissant de guitares électriques saturées pendant des jours.


Dommage.


Publié par Lux

La Trisresse du samouraï, Víctor del Árbol

Ce que l’on sait est que l’auteur est un policier en activité.

Au départ, un flash : une femme élégante, accompagnée de son fils cadet attend le train pour s’enfuir. Nous sommes en Espagne franquiste. Cette femme est l’épouse d’un phalangiste proche du dictateur. De cette simple trame vont pointer divers petits fils qui, tirer les uns après les autres, vont découvrir la haine, la trahison, le pouvoir et l’injustice qui peut être sienne mais aussi la mort. Les années ne désarme pas la vengeance. La culpabilité se transmettra comme un héritage. Nul ne peut être totalement innocent.

Voilà bien, pour moi, un roman piège qui vous capture, même par ses retours en arrière que je déteste pourtant. On dévore ce thriller à grandes bouchées pour se retrouver, tout étonné, à la page ultime.

Un livre cruel, tortueux comme ses acteurs, mais un livre que l’on ne pourra oublier.



 Publié par Jacques

La Face cachée des GI’s, J. Robert Lilly


J. Robert Lilly est professeur de sociologie et de criminologie à la Northern Kentucky University, aux États-Unis, et professeur invité de sociologie et de politique sociale à l’Université de Durham, en Grande-Bretagne.

Cette histoire faite de sang, de sperme et de larmes n’est qu’un tissu de violence. Nous ne sommes plus dans l’imaginaire du repos du guerrier. Nous sommes en présence de crimes réels.

L’image des troupes américaines présentée dans ce livre n’est plus, bien loin de là, celle qui a été établie aux États-Unis par la propagande officielle, les livres, les reportages et les films. Le mythe est enfoncé et le soldat américain n’est plus ce magnifique héros généreux et dévoué, « la plus glorieuse génération qu’aucune société ait jamais engendrée. ». « Sursexués » comme les qualifiaient les Anglais. L’ouvrage présente, ici, l’étude « du crime le plus détestable » : le viol. Tout d’abord, c’est un examen systématique des types de viols commis par des soldats américains, au cours de la Seconde Guerre mondiale, au Royaume-Uni, en France (pourtant des alliés) et en Allemagne, l’ennemi à abattre. Cela nous permet de mieux connaître ce qu’étaient les victimes mais aussi leurs agresseurs et leurs raisons d’agir.

Elles sont nombreuses. D’abord, cela peut être « l’humiliation de l’adversaire mâle ». On peut aussi le considérer comme une partie intégrante de la culture militaire, comme « la promotion masculine », comme « règle de la guerre, en tant que salaire et pillage », pourquoi pas comme « élément de confort sexuel », « élément stratégique », « droit de cuissage » ou encore déviance sexuelle.

Après 1945, la liste se prolonge ; même crime dans le Japon occupé, en Corée, au Vietnam ou pendant la Guerre du Golfe. Là, ce furent les femmes de l’armée qui furent les victimes des GI’S.

Ce n’est pas un roman. C’est un document qui, parfois, pourrait vous glisser des mains. Un livre accablant qui ne doit pas nous conduire à un amalgame mais qui nous permet de nous demander ce que parfois cache la gloire.


 Publié par Jacques