Les O’Brien, Peter Behrens




C’est avec regret que je referme la dernière page de cet épais roman. 600 belles pages durant lesquelles je ne me suis pas ennuyé une seule fois. J’ai suivi le destin des O’Brien avec beaucoup d’intérêt et un sentiment de nostalgie plane agréablement sur cette lecture.

Les O’Brien est un roman écrit par le canadien Peter Behrens, auteur que je ne connaissais absolument pas. Né en 1954, il vit aujourd’hui aux Etats-Unis dans le Maine. Je l’avoue, c’est la couverture qui m’a attirée au premier abord. Et comme je suis amateur de grande fresque familiale, je me suis dit que c’était pour moi !

Les O’Brien, c’est l’histoire sur quasiment un siècle de la famille O’Brien et plus particulièrement de Joe que l’on suivra de son enfance jusqu’à un âge avancé. Autour de lui graviteront les autres personnages du roman, son épouse Iseult, ses frères, ses enfants, ses petits-enfants.

L’histoire commence au Canda où Joe et ses frères vivent modestement pour ne pas dire dans la misère. Elevé par une mère malade et un beau-père douteux, ils décideront rapidement de quitter le pays et de partir aux Etats-Unis. C’est Joe, entrepreneur à tous les sens du terme qui mènera la barque et créera une entreprise de construction de chemins de fer.

Vous l’aurez compris, ce n’est pas le suspens qui est le moteur de cette lecture. L’histoire se déroule à un rythme plutôt lent, suivant le destin des personnages, s’attardant sur certains évènements anodins, d’autres en apparence plus cruciaux sont seulement évoqués. Peter Behrens est un écrivain qui déstabilise : son style n’est pas éblouissant au premier abord, il s’en dégage une fluidité remarquable et les pages s’enchainent sans aucune lassitude. Puis en y regardant de plus près au fur et à mesure que je m’immergeais dans le roman, je me suis aperçu à quel point Peter Behrens est un grand écrivain. Chaque mot, chaque phrase traduit une musique qui confère au récit cet aspect mélancolique que j’évoquais. Comme une rivière s’écoulant tranquillement, imperturbable, sans faire beaucoup de bruit mais créant une atmosphère si unique.
En quelques mots, j’ai adoré l’écriture de Peter Behrens, magnifique, fluide, poétique, mélancolique.

« Le dimanche par beau temps, ils embarquaient à bord d'une draisine le bébé, un panier à pique-nique, un appareil photo et ils filaient sur les rails fraîchement fixés sur les traverses. » 

Je suis un grand amateur de fresques familiales racontant sur plusieurs générations le destin d’individus en apparence communs mais qui marquent de leur empreinte la grande Histoire. J’ai été servi ! Les personnages sont réussis, crédibles et émouvants, Joe en premier lieu. Ses réussites, ses difficultés, ses échecs, les conflits amoureux et familiaux, Peter Behrens sait nous passionner à chaque page pour ses protagonistes. Il est rare d’avoir autant d’empathie pour les personnages d’un bouquin. Ici, je me sentais proche de chacun des membres de la famille, me sentant impliqué dans leur vie.

Ce qui m’a également plus, c’est la façon dont l’auteur a construit son histoire. Il n’y a pas de recherche d’effet dramatique ni de volonté de faire de cette famille l’emblème d’une critique du rêve américain ou de la société industrielle du XXe siècle. Il y a beaucoup de modestie qui se dégage de ce livre. L’ambition est là mais elle n’est pas démesurée, les personnages existent pour ce qu’ils sont. Finalement c’est une histoire simple mais c’est ce qui lui donne son infinie humanité.

Ce texte m’a beaucoup touché, j’y ai pris un plaisir immense et les O’Brien m’habitent encore aujourd’hui, plusieurs jours après en avoir achevé la lecture. N’est-ce pas la marque des grands romans ?

Publié par Lux

Virgin Suicides, Jeffrey Eugenides




Quel roman que ce Virgin Suicides ! Une véritable prouesse !

Ecrit en 1993 par Jeffrey Eugenides, ce roman raconte (le titre est le meilleur synopsis) les suicides de cinq sœurs ou plus exactement la genèse de ces suicides.

Jeffrey Eugenides, américian de 55 ans né à Detroit est un écrivain qui cultive sa rareté. Un roman tous les 10 ans et à chaque fois un coup de maître. Virgin suicides d’abord, en 1993, adapté au cinéma par Sofia Coppola. Middlesex ensuite qui obtiendra le Pirx Pullitzer puis Le Roman du mariage.


Roman étrange, aussi fascinant que passionnant, Virgin Suicides dérange. Jeffrey Eugenides crée une ambiance qui oscille quelque part entre le glauque et la grâce, il mêle même les deux avec une habilité déconcertante. La pulsion de vie/de mort est au cœur de ce roman dont chaque mot semble soupesé et choisi avec une infinie précaution. L’art de la formule, de la métaphore juste, les phrases courtes et percutantes rendent l’écriture de Eugenides fluide et lumineuse, capable d’envolée lyrique comme d’ironie sanglante.


« Cécilia, la plus jeune, treize ans seulement, avait été la première. Elle s'était ouvert les poignets dans son bain comme un stoïcien, et quand ils la trouvèrent flotter dans sa mare rose, les yeux jaunes comme une possédée et son petit corps exhalant l'odeur d'une femme mûre, les infirmiers furent tellement effrayés par sa tranquillité qu'ils restèrent hypnotisés. »


L’histoire de Virgin Suicides est simple et annoncée dès le titre mais plus le récit avance, plus on découvre la complexité cachée derrière cette apparente simplicité. Avec une économie de moyen impressionnante, Eugenides parvient à dépeindre la genèse de ces suicides. De bout en bout, on est passionné par le destin de ces cinq sœurs et par l’ambiance toujours entre rêve et horreur qui se dégage du récit.


Pour un premier roman, Eugenides frappe fort, très fort. Il réalise un pari risqué : raconter une histoire dont nous connaissons déjà la fin. Cette plongée dans la vie de ces adolescentes et de leur entourage met en lumière la vie de ces banlieues américaines polissées et dictées par les apparences. Virgin Suicides est un roman infiniment intime, psychologique, érotique et à la fois morbide, glauque. Ce contraste fait émerger une dimension quasi sociologique qui donne de la profondeur au récit. 

Un excellent roman que je recommande à tous !

Publié par Lux

Les Saisons de la nuit, Colum McCann



Certains auteurs sont ce que j’appelle des « chirurgiens de l’âme ». Une plume précise, parfois acerbe qui dépeint et dévoile des personnages dans toute leur vérité, névroses comprises. Colum McCann fait tout l’inverse. C’est une plongée en apnée, rapide et déchirante dans la vie de laissés pour compte, d’oubliés à l’humanité souvent bouleversante. Un coup de poing dans la glace.

Colum McCann est un auteur irlandais de 49 ans (50 ans à la fin du mois !) né à Dublin et parti découvrir les Etats-Unis à 21 ans, un diplôme de journalisme en poche. Auteur de  romans et de recueils de nouvelles, il enseigne la « créative writing » à New-York.

« Lever les yeux et voir que le fond du trou ; baisser les yeux et voir que du ciel. J'ai jamais rien entendu de plus chouette, qu'on le prenne comme on on voudra. »

Publié en 1998, Les Saisons de la nuit c’est le portrait d’une famille d’ouvriers américains et de leurs destins souvent tumultueux du début du XXème siècle à nos jours. En nous contant les vies de terrassiers qui construisent le tunnel de la ligne Brooklyn-Manhattan jusqu’à ceux travaillant sur les poutrelles d’acier des gratte-ciels, Colum McCann écrit un véritable hymne d’amour à New-York et ses splendeurs.

Mais plus encore que les merveilles architecturales, l’auteur irlandais rend hommage à ceux qui ont bâti cette ville et y ont consacré leur vie, au point de vivre au plus profond de celle-ci. C’est donc avant tout un roman urbain, qui se concentre sur le rapport entre l’intimité des individus et l’anonymat de la grande ville, entre le surgissement d’une mégapole et les destins broyés, entre le lien de la famille et l’isolement le plus total…

« Parfois, des couples s'injurient en se penchant aux fenêtres. Tout un paysage d'amour et de haine. Une brutalité sensible dans l'atmosphère. De la tendresse aussi, pourtant. Il y a là quelque chose de si vivant que le cœur de la ville semble près d'éclater de toute la douleur qui y est accumulée. Comme s'il allait soudain exploser sous le poids de la vie. Comme si la ville elle-même avait engendré toutes les complexités du cœur humain. Des veines et ds artères - semblables aux tunnels de son grand-père - bouillonnantes de sang. Des millions d'hommes et de femmes irriguant de ce sans les rues de la cité. »

De ces paradoxes surgissent une beauté rude et lumineuse. Avec une finesse narrative remarquable, Colum McCann tisse son récit et entremêle les éléments en sculptant des personnages d’un réalisme saisissant. L’écrivain irlandais a le talent de dégager une puissance incroyable avec seulement quelques mots. Il se dégage de ce texte une poésie tout en nuances d’ombre et de lumière.

« La souffrance est sa compagne. Si elle l'abandonnait, il serait bien surpris, il se sentirait même seul. Elle s'est installée avec luis depuis tant d'années, imposant un ordre nécessaire aux heures, à la routine, au spectacle de la rue. »

En 321 pages, Colum McCann réalise une fresque très ambitieuse et, disons-le, c’est une réussite. Crédible, émouvante, bouleversante, la plume de l’auteur irlandais sublime son sujet par un style d’une violence et d’une poésie rare. L’intelligence narrative de l’écrivain embrasse parfaitement la grande humanité de son récit.

A mon sens, Les Saisons de la nuit est un grand roman et je lirai d’autres œuvres de Monsieur McCann.

Publié par Lux